Courez comme un félin – Coach Magazine France

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SI MES JAMBES NE ME FAISAIENT PAS AUSSI MAL et si ma coordination n’était pas en train de s’altérer rapidement, je serais peut-être sensible aux messages et aux paroles d’encouragement qui fusent au 32e kilomètre du marathon de Philadelphie. Sur un panneau, je lis : « Bravo ! Tenez bon ! » Des spectateurs hurlent : « Allez, c’est presque gagné ! » Quelque part au-dessus de ma tête, des haut-parleurs laissent échapper « Gaonna Fly Now », le thème de Rocky. Foutaises que tout cela ! « C’est la forme ! » (encore un mensonge) me lancent les volontaires qui m’accueillent à un poste de secours où je m’arrête pour tenter de dissiper ces crampes qui tétanisent mes quadriceps et mes ischios.

Après avoir martelé le bitume pendant deux heures et demie, la moindre montée est pire que l’Everest et chaque kilomètre semble plus long que le précédent : j’ai pris le mur… de plein fouet ! Encore dix kilomètres… Trainant la patte, je franchis enfin la ligne d’arrivée au bout de 3 heures et 25 minutes : ce n’est pas catastrophique (d’aucuns diraient que c’est honorable), mais c’est malgré tout dix minutes de plus que l’objectif que je m’étais fixé et je me mets à culpabiliser presque aussitôt. Ce n’est que deux semaines plus tard que j’ai découvert la vraie raison de ma piètre performance.

Ce jour-là, après une séance exténuante d’interval training, un de mes collègues m’interpelle : « Est-ce qu’il t’est arrivé de te concentrer sur ta respiration ? » Bien qu’ayant 30 ans de plus que moi, il me bat régulièrement à plate couture lors de courses locales, ce que j’aurais du mal à encaisser si ce senior de 55 ans n’était pas un coureur incroyablement rapide qui vous boucle un marathon en 2 heures et 13 minutes.

Il fait également partie des 31 personnes au monde à avoir couru un marathon en moins de 3 heures sur cinq décennies. C’est à la respiration rythmique qu’il attribue ses succès sportifs et sa longévité. Il a mis cette technique au point il y a près de trente ans. « En modulant mon rythme respiratoire en fonction de ma cadence, j’ai constaté que je pouvais mieux mesurer l’effort, optimiser ma capacité pulmonaire et atténuer l’usure du corps. » Simple bouche-trou à ses débuts dans son équipe de cross-country, Budd Coates (c’est son nom) a été retenu aux sélections américaines pour le marathon des JO.

«Tu veux essayer? » Pour la première fois depuis des semaines, je sens l’espoir renaître. Comme je sais que je n’aurai pas besoin de m’entraîner plus dur, je respire plus facilement… et c’est ma première erreur.

LA RESPIRATION À LA LOUPE

Pour que je pense à faire pénétrer l’air jusqu’au fond des poumons, Coates place ma main sur mon ventre et me dit de respirer par le nez et la bouche. Mon apprentissage de la respiration rythmique ne se fait pas sur route, ni même sur un tapis de course, mais sur le sol de la salle de sport : allongé sur le dos, je gonfle et dégonfle successivement mon abdomen. « Félicitations, me dit-il au bout de quinze minutes. Maintenant, tu sais respirer par le ventre. »

Jusqu’à ce jour, je m’étais rarement préoccupé de ma respiration, car comme pour presque tout le monde elle se fait automatiquement : on inspire, l’oxygène se diffuse dans le sang, il est véhiculé par l’hémoglobine jusqu’aux muscles en activité et il y a production d’énergie. Le déchet de ce processus est le gaz carbonique qui est transporté jusqu’aux poumons pour être rejeté. Rien de compliqué. Cependant, imaginez qu’on grimpe une cote. L’effort oblige les jambes à travailler plus dur, ce qui augmente leur demande en oxygène.

La cage thoracique se soulève et s’abaisse plus rapidement, mais elle finit par ne plus être en mesure de satisfaire le besoin en oxygène. Entre- temps, le gaz carbonique s’accumule. Les muscles respiratoires ne tardent pas à être fatigués, et comme ils sont prioritaires sur les autres pour nous maintenir en vie, c’est vers eux qu’est dérivé le sang riche en oxygène.

« L’organisme est confronté à un choix : envoyer le sang vers les muscles des jambes pour continuer à courir ou vers les muscles respiratoires pour ne pas s’asphyxier », explique Robert Chapman, spécialiste de la médecine du sport. « Au final, les muscles respiratoires l’emportent toujours », et la plupart d’entre nous leur facilitent la tache.

En effet, nous n’utilisons que 50 à 60 % de nos capacités pulmonaires, parce que nous tablons trop sur ces muscles pour respirer. Ils devraient avoir un rôle auxiliaire. C’est le diaphragme qui doit agir principalement. Une contraction complète de celui-ci à chaque inspiration optimise la quantité d’oxygène inhalé et de gaz carbonique rejeté, retardant ainsi la fatigue. En outre, en apprenant aux muscles respiratoires à être plus efficaces, on peut réduire leur consommation d’oxygène, indique une étude parue dans le Journal of Applied Physiology, et « moins ils en consomment, plus on peut en envoyer aux muscles sollicités par l’effort », conclut Chapman.

Toutefois, faire intervenir le diaphragme n’est que la première étape de la respiration rythmique ; la seconde étape consiste à la calquer sur la cadence, c’est-à-dire les foulées.

RÉAPPRENDRE À COURIR

À première vue, courir est une activité peu traumatisante. Cependant, chaque fois que le pied heurte le sol, les articulations encaissent un choc dont la force équivaut à plus de deux fois le poids du corps. Cet impact est augmenté au début de chaque expiration, car « à ce moment-là, le diaphragme et les muscles qui l’entourent se relâchent, ce qui diminue la stabilité du tronc. Or, moins le tronc est stable, plus le risque de blessure est grand », précise Coates.

Pire encore : « La plupart des coureurs inspirent sur deux foulées et expirent également sur deux foulées : le rythme respiratoire est donc à valeur égale avec la cadence. De ce fait, le début de l’expiration se fait toujours sur le même pied. » Avez-vous constaté davantage de douleurs d’un côtés du corps que de l’autre ? À présent, vous en connaissez la raison…

La respiration rythmique chamboule ce processus en prolongeant l’inspiration sur trois temps contre deux pour l’inspiration. « Avec une inspiration plus longue que l’expiration, le buste est “bien tenu” pendant la majeure partie de la course. » D’autre part, vu qu’on n’entame jamais l’expiration sur le même pied, la force de l’impact est répartie à égalité entre les deux cotés du corps.

« Le mode respiratoire sur cinq temps convient le mieux pour une course lente à modérée, affirme Coates. Pour une course plus rapide, on passera à un rythme à trois temps : deux, inspiration ; un, expiration. » Ces deux schémas sont la clé du troisième atout de la respiration rythmique, à savoir la mesure de l’effort. Adopter un rythme pour les courses de fond et un autre pour la vitesse et l’entraînement fractionné, c’est avoir un régulateur interne qui évite qu’on se retrouve trop tôt à court de carburant ou qu’on finisse avec un excédent de carburant non utilisé. « Courir est une question d’efficacité, souligne Coates, et mieux on sait mesurer l’effort, plus on devient rapide. »

PORTÉ PAR L’AIR

Pour moi, le premier signe d’amélioration se manifeste lors d’une course de 10 kilomètres au printemps où, à ma totale stupéfaction, je me classe dans les cinq premiers. À l’automne, j’ai amélioré de 30 secondes mon chrono au 5 kilomètres et terminé un semi- marathon en 1 heure et 27 minutes, une performance inconcevable auparavant. Mais ces courses ne sont que des préambules au test décisif qui m’attend, le Outer Banks Marathon.

Par une chaude matinée de novembre, le pistolet du starter donne le signal du départ à 7 h 20 et je démarre lentement, humant joyeusement l’air marin tout en suivant le parcours balisé dans les rues de Kitty Hawk. Je me sens détendu… étonnamment détendu. Vers 7 h 30, à la hauteur du premier marquage, je me surprends à saluer à mon tour les familles qui prennent leur petit déjeuner sur leur véranda et me font un signe de la main. Treize kilomètres après le départ, au moment où je passe devant le Wright Brothers National Memorial, une douleur sourde envahit mon pied gauche, mais je choisis de l’ignorer.

Je couvre les 29 kilomètres suivants à une très bonne allure. Au 35e kilomètre, même le pont Baum Bridge, dont la montée est particulièrement abrupte, ne parvient pas à me ralentir. Au bout de 3 heures et 19 minutes, je franchis tranquillement la ligne d’arrivée. J’ai rogné 6 minutes sur le temps que j’avais réalisé à Philadelphie : ce progrès n’a rien d’époustouflant, mais je m’en réjouis et pas uniquement parce que j’ai parcouru les 42 kilomètres sans marcher une seule fois.

« Vous avez une fracture de stress », m’annonce le podologue que je consulte quelques semaines plus tard pour ma douleur au pied gauche. La blessure était survenue avant le marathon : lors d’une course, j’avais maladroitement heurté une grosse branche, mais j’avais mis cette douleur persistante sur le compte d’une petite contusion.

« Franchement, je me demande comment vous avez pu faire un marathon. » Je m’en serais certainement abstenu si j’avais su la gravité de ma blessure. Pourtant, en répartissant de façon égale la force des impacts sur les deux cotés de mon corps, la respiration rythmique m’a aidé non seulement à finir le marathon, mais aussi à établir un nouveau record personnel. À présent que la blessure a guéri, je me suis fixé un nouvel objectif : passer sous les trois heures à mon prochain marathon !