Rafael Varane : la tête sur les épaules – Men's Health

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RAPHAEL VARANE A FAIT CE QUE PERSONNE NE CROYAIT POSSIBLE : S’IMPOSER DANS LA DÉFENSE CENTRALE DES MERENGUE.

Flash-back. C’est en 2011, l’année de ses 18 ans, que tout s’est accéléré. Là où d’autres adolescents se réjouissent d’atteindre la majorité pour pouvoir aller en boîte sans se faire refouler à l’entrée ou pour acheter de l’alcool en toute légalité, le jeune Raphaël, qui se prépare à passer le bac, regarde longuement son téléphone portable, incrédule. C’était Zinédine Zidane. Le dieu du foot vient de l’appeler pour lui proposer de rejoindre le plus prestigieux club d’Europe, si ce n’est du monde. Santiago Bernabéu. Cristiano Ronaldo. José Mourinho. La Ligue des champions. Le Real Madrid, ni plus ni moins. Le « Ch’ti martiniquais », comme on le surnomme à Lens, son club formateur, n’est pas un perdreau de l’année, il sait qu’il intéresse de grands clubs, dont le PSG et son projet qatari, ou les Red Devils de Sir Alex Ferguson, juste de l’autre côté de la Manche. Mais le grand Real… À peine l’information dévoilée, commentaires et supputations fusent. « Trop jeune, le minot, il va péter un câble… »; « trop fragile, il va se griller »; « avec Sergio Ramos et Pepe, il va faire du banc, un remplaçant de luxe… »; « il ne supportera pas la pression… » Et la liste n’est pas exhaustive. C’est fou ce que les « spécialistes » du football peuvent avoir un avis sur tout. Même lorsqu’on ne leur pose pas la question. À la surprise générale – sauf, peut-être, de ceux qui le connaissent bien –, Varane choisit de relever le défi et fait ses valises, direction l’Espagne.

MÛRIR PLUS VITE

Lundi16février2015,nousretrouvonsRaphaëlVaranedanslasuite présidentielle de l’hôtel Hilton, mise à disposition de Men’s Health le temps d’une séance photo. Huit jours plus tôt, le Real a vécu un cauchemar face à son rival madrilène. Des erreurs de placement, un Varane hésitant, un Ronaldo transparent et un 4-0 cinglant pour l’Atletico. Heureusement, 48 heures avant notre rendez-vous, les Merengue se sont repris; 2-0 face au Deportivo La Corogne.

Et la tête de la Liga, toujours. Un minimum avant de s’envoler pour l’Allemagne affronter Schalke 04 en huitièmes de finale de la Ligue des champions (ils l’emporteront 2-0, prenant une sérieuse option pour la qualification pour les quarts de finale, le match retour n’ayant pas encore été joué au moment où nous mettons sous presse, ndlr). Le « grand » Raphaël (1 m 91 pour 82 kg) paraît tout timide, réservé. Maillot du Real, maillot tricolore, T-shirt de la nouvelle collection Nike Football Club pour son sponsor, chemise blanche pour jouer l’homme élégant, la séance photo se déroule dans la bonne humeur, sans urgence, sans pression. Le sourire est facile, et Raphaël le tient remarquablement, naturellement. Un mannequin ne ferait pas mieux. Mais comment un « gamin » d’à peine 21 ans peut-il faire preuve d’une telle maturité sur le terrain, à un poste généralement dévolu à des joueurs de 27-28 ans? « Sans doute parce que j’ai grandi au milieu de personnes plus âgées que moi, à commencer par mon grand frère, mais aussi parce que j’ai souvent été surclassé en catégories de jeunes. C’est dans ma nature d’être posé, réfléchi. J’ai aussi un entourage qui me permet de garder les pieds sur terre, explique Varane. Et puis, ce choix du Real, ça a été un énorme changement dans ma vie personnelle, un grand pas en avant. Je suis passé du centre de formation à une vie d’adulte, dans un pays étranger en plus, cela n’a pas été évident. Ce sont des choses qui font mûrir plus vite, sans doute, aussi. »

ÊTRE À L’ÉCOUTE DE SON CORPS

Après une année 2014 exceptionnelle, couronnée de multiples titres (vainqueur de la Ligue des champions, de la Supercoupe d’Europe, de la Copa del Rey, de la Coupe du monde des clubs), à quoi peut encore rêver un jeune joueur? « C’est vrai que ça a été très vite, un début de carrière en accéléré. Après je relativise, je prends du recul sur les choses. Je pense surtout que c’est une chance de vivre tout cela aussi tôt, mais que ce n’est pas une fin en soi. Mon ambition, c’est de continuer à m’imposer, à progresser, à gagner un maximum de titres et à donner le meilleur de moi-même. »

À l’image d’un Ronaldo insatiable, Raphaël Varane vise haut et veut s’en donner les moyens. « La performance se travaille au quotidien, même si cela ne se voit pas forcément. Lorsque les gens regardent les matchs, ils ne s’imaginent pas tout le travail qu’il y a derrière. » Un travail qui ne répond pas, comme on pourrait l’imaginer, à un schéma bien précis, immuable. « Il est très important de bien se connaître et de bien connaître son corps pour travailler en conséquence. Il n’y a pas d’entraînement type, c’est en fonction des matchs et des plages de récupération. Parfois on peut travailler plus, parfois il faut savoir se reposer. » À l’écoute de son corps, de ses besoins. « Personne ne nous impose de faire de la musculation, c’est nous qui gérons cela, car personne mieux que nous ne sait ce dont notre corps a besoin. Ça passe par du travail en salle, avec un préparateur physique, en plus des entraînements collectifs. » Là aussi, pas de schéma immuable : « On a parfois besoin de plus d’étirements, parfois de plus de massages et de soins, ou justement de plus de travail physique pur. Pour moi, quand je ressens le besoin de travailler, c’est surtout dans la réactivité, l’explosivité. Je vais être plutôt sur des courses de courte distance avec un maximum d’intensité, pour travailler plus les fibres rapides que les fibres lentes, l’explosivité plus que l’endurance. » Quant à la détente, essentielle à son poste, elle aussi se travaille de multiples façons, selon les besoins ressentis par le

joueur : « En salle, avec des machines pour travailler en force, mais aussi sur des appuis ou avec des élastiques pour augmenter la résistance. »
Et cette « fragilité » liée à la maladie d’Osgood-Schlatter, une affection du genou fréquente chez les jeunes sportifs et qui le rendrait si « vulnérable » aux yeux de certains journalistes sportifs? « Il ne faut pas lire tout ce que l’on raconte sur Internet, s’amuse-t-il. Je n’ai eu qu’une seule blessure dans ma carrière. Le ménisque externe. Et pour la petite anecdote, mon frère, qui joue aussi au foot, a eu une grosse blessure au genou. Lui, c’était tout le genou, sauf le ménisque externe. À nous deux, on avait encore un genou complet! » Pudique Varane, qui n’évoque pas les mois passés en rééducation, plus jeune, alors que les copains enchaînaient les matchs et qu’il rongeait son frein, obligé de ménager ce ménisque récalcitrant. Des repos obligatoires qui l’ont endurci et qui ont façonné sa détermination d’aujourd’hui. Et puis, personne n’est jamais à l’abri des blessures. Après tout, ne sont-ce pas celles de Sergio Ramos et de Pepe qui lui ont permis, dernièrement, de réellement s’installer dans l’axe de la défense madrilène en Liga?

TOUJOURS SE REMETTRE EN QUESTION

La séance photo s’achève dans la salle de sport du Hilton. Juste derrière nous, dans la piscine, un coach donne un cours de surf à une jeune élève moulée dans une combinaison noire. Pas de vagues. Sourires. Joueur le plus utilisé cette saison en C1 avec 475 minutes de jeu au compteur, juste derrière Cristiano Ronaldo (525 minutes), Raphaël Varane jouera dans 48 heures face à Schalke 04 le 100e match de sa carrière avec le Real Madrid. Maillon essentiel du dispositif de Carlo Ancelotti, celui qui avait immédiatement séduit José Mourinho à son arrivée et rapidement hérité du surnom de Don Limpio (Monsieur Propre) a su s’imposer dans la charnière centrale du Real comme de l’équipe de France. « Le Real, c’est toujours beaucoup d’attente, donc beaucoup de pression. Pas seulement le fait de jouer devant 80 000 personnes, mais aussi une pression au quotidien. » Contrairement à ce que l’on pourrait supposer, la richesse de l’effectif ne fait pas du groupe une addition d’individualités. « L’entente est bonne avec tous, même si dans le vestiaire je suis plus avec Karim… » Un Benzema qu’il retrouvera certainement les 26 et 29 mars prochains, en match amical face respectivement au Brésil puis au Danemark, dans le cadre de la préparation de l’Euro 2016. Sans qualification en jeu, mais avec une vraie motivation : « Jouer en équipe de France, c’est toujours se remettre en question et devoir rester performant. Même si ce ne sont que des matchs amicaux, cela reste des grands matchs internationaux. » Le message est clair : Raphaël Varane ne lâche rien et a faim de grandes rencontres pour progresser et performer, encore et toujours.

PAR PATRICK GUÉRINET