MaxiRace Madeira : voyage aux portes de l'Ultra – Coach Magazine France

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© Joao M. Faria

C’était mon défi de fin d’année : battre mon record personnel de distance et de dénivelé positif. La première édition de la MaxiRace sur l’île de Madère, au large des côtes africaines, le 9 décembre dernier, était le cadre idéal pour tenter de le relever.

Par Patrick Guérinet, rédacteur en chef de Coach Magazine

Un Maxi défi pour un record perso

Chacun son propre Everest. Le mien est certes modeste, comparé aux distances et dénivelés avalés par les ultratraileurs, mais je n’ai jamais eu la prétention de jouer dans leur cour. Pas encore, du moins. Allongé sur le lit de ma chambre à la pension Solar de Boaventura, je regarde Fredrik, mon « coloc » pour l’occasion, s’activer dans les préparatifs de course. « Qu’est-ce que tu emmènes pour la nutrition ? Et les vêtements ? Avec quelles chaussures tu vas courir ? » Fredrik est inquiet. Ultratraileur confirmé, finisher entre autres du Marathon des Sables, ce Suédois a abandonné à mi-parcours de sa dernière course, l’Oman by UTMB, quelques semaines plus tôt. Défaillance psychologique. Le corps pouvait, la tête ne voulait plus. Il s’est donc engagé sur les 68 km et 5400 m de dénivelé positif de cette MaxiRace Madeira pour se rassurer. Finir coûte que coûte, maîtriser le mental dans une course annoncée comme exigeante. Il s’étonne de me voir si zen, avec mon petit sac bouclé en 5 minutes, quasiment vide de nourriture. « Tu as préparé ton sac pour la base de vie du 25e km? Tu peux y mettre des vêtements de rechange, une autre paire de chaussures, de la nourriture. C’est bien, non, juste avant la grosse montée ? » Non, je n’en prends pas, je mangerai aux ravitos. « Et ton sac pour l’arrivée ? » Non, pas la peine, l’hôtel est à moins d’un kilomètre de l’arrivée, tu sais… Fredrik sait, mais il s’organise quand même, en s’excusant. Une façon comme une autre d’évacuer l’appréhension, le spectre de cet abandon qui le hante.

© Patrick Guerinet

Chercher ses limites

Quand Fredrik me déclare que je dois être sacrément expérimenté pour être aussi zen et prendre aussi peu de matériel, je rigole et lui réponds « expérimenté ou… inconscient ! » Je lui explique alors que je n’ai jamais fait de course aussi longue, et surtout jamais avec autant de dénivelé. 3800 mètres sur 53 km dans les Dolomites en juin dernier, c’est mon record. Là, il y a 1600 m en plus à grimper. Une… montagne ! Pour moi du moins. Tiendra, tiendra pas ? Raisonnablement, je ne devrais pas être là. Pas assez entraîné (depuis 2 mois, je n’ai quasiment pas pu courir en montagne, uniquement sur route, les 20 km du Marseille-Cassis et le marathon d’Athènes), très accaparé par le travail, je me demande encore ce que je fais ici. Ou plutôt si, je sais, mais ça n’a rien à voir avec mon niveau de forme ou mes supposées capacités physiques : « Itinéraire en bord de mer, puis à travers la Laurissilva, forêt laurifère classée au Patrimoine Mondial Naturel de l’Humanité par l’UNESCO. » Oui, j’avoue, la promesse d’une traversée dans cette exceptionnelle forêt de lauriers, mais également de paysages volcaniques et sauvages, avec vue à 360° sur la mer, m’a fait sauter le pas, sans prendre en compte mon fameux « état de fraîcheur » qui a déjà dépassé la date limite de consommation. Mais le dicton « qui vivra verra » n’est pas fait pour les chiens, n’est-ce pas ?

© Joao M. Faria

Top départ

Patrizio est partout, veille sur tout, a un petit mot sympa pour tout le monde. Gonflage du portique de départ, vérification du matériel obligatoire, volume de la musique, c’est la première course qu’il dirige en tant qu’organisateur et il est certainement le plus anxieux de tous sur la ligne de départ. Son rêve d’épreuve conviviale, sur cette côte méconnue de l’île de Madère où vit une partie de sa famille, est en passe de prendre forme. Avec un temps au beau fixe, aucune pluie annoncée (sa hantise) et une température clémente en ce début décembre, les cieux ont été de son côté. Après le départ de la 103 km ce matin à 6h, c’est à 9 heures pétantes qu’il libère le petit groupe de compétiteurs immédiatement emmené par Cyril Cointre, ex-traileur professionnel et responsable du développement de la marque MaxiRace dans le monde, venu à la fois courir et superviser l’organisation de l’épreuve. Perso, je démarre en queue de peloton, conscient que face à ces coureurs aguerris je ne vais pas jouer la même partie. Mais avec des barrières horaires assez larges et 20 heures de temps maximal imparti, je dois pouvoir m’en sortir, si la tête et les jambes suivent. D’après mes calculs, basés sur mon rythme de progression habituel en course de montagne (j’ai failli utiliser le terme « mes performances » avant de me raviser), je devrais mettre environ 16h, donc terminer vers 1 heure du matin, largement avant le clap de fin de 5 heures du mat.

© Joao M. Faria

Des marches par milliers

Dès les premiers kilomètres, le ton est donné : il va y avoir des marches. En montée, en descente, des marches bien faites, en béton, des marches taillées dans la pierre, des marches improvisées avec des cailloux empilés, d’autres encore aménagées avec des rondins. Des marches, encore des marches. L’échauffement est parfait pour les quadriceps en montée, les ischios en descente, avant de rejoindre le bord de mer pour 4 kilomètres de plat en mode « allons à la plage ». Cette entrée en matière avalée, nous quittons (enfin, je quitte, car je suis déjà tout seul, largué par les meilleurs, légèrement devant les moins rapides) la côte pour entrer dans les terres et le vif du sujet : une première grosse montée à travers champ, raide et glissante à souhait, qui donne le ton des 25 prochains kilomètres : une longue ascension jusqu’au point culminant de la course, au milieu de l’île, à travers des champs, puis cette fameuse forêt laurifère aux parfums de jungle tropicale, puis enfin des montagnes volcaniques à la végétation rabougrie, battue par les vents, dans un décor digne du Seigneur des Anneaux. Particularité de l’île, de nombreux canaux d’irrigations serpentent à flanc de montagne, longés par des sentiers qui proposent des tronçons de plat réconfortants entre deux montées abruptes qui semblent parfois taillées à la machette tout droit dans la pente. J’en bave sévère, et finis par sortir mes bâtons pour trouver de meilleurs appuis. Moi qui jusque-là ne m’en étais jamais servi, préférant ne pas m’encombrer et pousser sur mes cuisses avec mes mains, j’avoue être agréablement surpris par le soulagement qu’ils me procurent dans l’effort et le rythme qu’ils permettent de donner à mon ascension. Enfin, rythme est un bien grand mot. Disons que grâce à eux, je ne recule pas.

© Joao M. Faria

Baisse la tête, t’aura l’air d’un coureur

J’alterne course et marche rapide depuis deux ou trois kilomètres sur un sentier le long d’un canal d’irrigation, histoire de me refaire la cerise après l’énorme montée abrupte dans la forêt, lorsque j’arrive au pied d’une falaise. Pas de chemin à droite. Pas de chemin à gauche. J’ai raté un truc ou quoi ? Venant du haut de la montagne, une cascade se jette dans le canal d’irrigation, qui file quant à lui dans un petit tunnel creusé dans la roche. J’aperçois soudain 2 morceaux de rubalise orange et blanche, un de chaque côté de l’entrée de l’étroit tunnel. C’est une blague ? Caméra cachée ? Je me retourne, rien. Je me penche, allume ma frontale et distingue un étroit chemin le long du canal, dans le tunnel. Trois marches plus bas, courbé en deux, je commence ma progression dans cet ouvrage creusé par l’homme. Il fait froid, ça glisse, c’est étroit, mais ça passe. Je baisse la tête, de peur de me cogner, et regarde attentivement où je pose mes pieds. Pas trop envie de finir dans cette eau que je devine glacée. Le tunnel est immense, plusieurs centaines de mètres. J’aperçois loin devant une lueur, la frontale d’un autre coureur que je rattrape très vite. Arrivé à sa hauteur, il se plaque contre la paroi et me laisse passer. Le pauvre a l’air paniqué. Claustrophobe peut-être. Il marche avec les pieds en canard, en se plaquant – et se cognant – contre la paroi. Je lui demande si tout est OK, il lève timidement un pouce et se plaque un peu plus contre la roche. Je file vers la sortie, et attends de le voir arriver. Il est tout blanc, mais heureux de retrouver le soleil, me fait un grand sourire et s’assied sur une pierre pour retrouver ses esprits. Je ne le reverrai plus, mais repenserai à lui dans les deux autres tronçons souterrains, tout aussi longs et étroits, qui nous emmèneront jusqu’au pied de la grosse difficulté, le Pico de Jorge, point culminant de la course. Le ravito du 32e kilomètre, juste avant les 5 kilomètres d’ascension, signe la fin de la forêt et le début des paysages de montagne, avec une végétation plus clairsemée, des plissements rocheux imposants, des crêtes découpées et… des marches. Un immense escalier de pierre, avec parfois des marches de près de 80 cm de haut qui nécessitent de mettre les mains, s’élève inexorablement à flanc de montagne. A gauche, la mer qui baigne la côte Nord de l’île, où il faudra retourner tout à l’heure. A droite, la même mer qui baigne la côte Sud de l’île, où se trouve Funchal, la capitale. Devant, les pics qui s’élèvent dans un ciel bleu azur, telles les tours d’un château imaginaire dont nous devons franchir le pont-levis, là-haut, tout là-haut. Je monte lentement, régulièrement, et franchis sans trop peiner le col avant de basculer dans une descente vertigineuse faite de milliers… de marches, bien sûr. Les mêmes qu’en montée, mais dans l’autre sens, encore plus pénibles pour les cuisses. Je ne sais pas comment les pros arrivent à courir là-dedans, et je ne le saurais jamais, vu que je passerai toujours des plombes après eux. Mais ça doit être spectaculaire à voir…

© Patrick Guerinet

Et la lumière s’en fut

Je n’ai pas de montre, et je n’ai pas lancé mon application RunKeeper, afin de garder un maximum de batterie pour pouvoir communiquer en cas de besoin. Je n’ai pour me repérer que le profil de la course reproduit sur mon dossard, qui m’indique l’emplacement des ravitaillements. Entre deux ravitos, je navigue donc à vue, estimant mon rythme de progression et la distance me séparant du ravito suivant. Jamais plus de 12 kilomètres, ce qui me permet de fragmenter la distance totale, de me fixer à chaque fois des objectifs raisonnables, et de garder le moral au beau fixe. Il est environ 17h, soit pile 8 heures de course, lorsque je quitte le ravito du 44e kilomètre et allume ma frontale pour attaquer la nuit, ma première nuit de course. Les plus rapides doivent être en vue de l’arrivée (Cyril Cointre mettra 8h 10 mn), il me reste encore 24 km à parcourir mais je me sens bien, heureux de faire partie de cette aventure. Certes, je ressens quelques raideurs dans les jambes, mais moins que ce que je redoutais, certainement grâce aux bâtons qui m’ont permis de soulager les muscles de mes jambes, généralement prompts à se manifester par le biais de crampes lorsque je franchis la barre des 25 km… Dans la nuit, à la lueur du faisceau de ma frontale, je découvre le plaisir de la solitude, du silence, des reliefs qui s’effacent, des balises phosphorescentes qui apparaissent au loin, indiquant que je suis sur le bon chemin. Le temps s’étire, le chemin court le long d’un canal d’irrigation, puis plonge dans la vallée, vers un nouveau ravito. 53e kilomètre. Je bois un coca, un café chaud, avale trois morceaux de fromage, un bout de gâteau et me pose 5 minutes sur une chaise pour envoyer des SMS à mon clan, qui suit ma progression et attend des nouvelles. Plus que 15km, dont une grosse montée de 3km, là, tout de suite après cette pause. Je suis serein, je n’ai globalement mal nulle part, et repars la fleur au fusil.

© Patrick Guerinet

En avant marches !

Juste à la sortie du village, un homme au regard fou ressemblant comme deux gouttes d’eau à un hérétique du Nom de la Rose me montre le haut de la montagne en riant, bouche édentée. Savoir que je vais en baver le met dans une joie indescriptible. Chacun ses petits bonheurs. Je le salue, il se tord de rire. Si je peux faire plaisir, hein… Cent mètres plus loin, j’attaque la fameuse dernière grosse difficulté du parcours : des marches ! Taillées dans la pierre, arrangées à flanc de montagne, elles grimpent en flèche vers un sommet que je ne distingue pas dans la nuit. Ça vaut peut-être mieux. Je prends mon mal en patience et finis par passer un col pour basculer dans une descente vertigineuse à travers une forêt d’eucalyptus. Ça sent bon, la forêt comme la fin, donc la bière du finisher. J’aperçois au loin, et en bas, des lumières que j’imagine être celles du village d’arrivée. Mais pour descendre, il faut s’envoyer… des marches. En béton, couvertes de mousse, glissantes à souhait avec l’humidité de la nuit. Je manque me vautrer deux ou trois fois, sauvé par mes bâtons, qui ralentissent ma descente mais la sécurisent. Mes cuisses me brûlent, mais l’arrivée est proche, et me galvanise. J’arrive enfin dans le village, suis la route, salue quelques rares habitants, m’étonne de ne pas entendre un bruit. Je suis toujours les balises, et… je sors du village. Ben merde alors, c’est pas le bon ? Je n’ai plus aucun repère, j’ai dû confondre, mais ne sais plus du tout à combien de kilomètres de l’arrivée je suis, du coup.

© Patrick Guerinet

Ta Race maudite !

Je longe la mer, j’entends le ressac au pied de la falaise. Je repars sur un sentier, qui plonge de nouveau en une série de marches terribles, épuisantes. Mais c’est quoi ce bordel ? Je sais que le village d’arrivée est en hauteur, alors pourquoi descendre ? Ça pue l’arnaque ce truc. J’éclaire le profil du parcours sur mon dossard et réalise ce que je n’avais pas vu au début : juste à la fin, le profil plonge à pic pour remonter en flèche. Je comprends que je suis dans la descente à pic. Et donc, que je vais devoir me cogner une dernière montée en flèche. Plus je descends, plus le moral descend. Les lumières de Boaventura apparaissent enfin, tout en haut de la colline qui me fait face, et je continue de descendre ces marches terribles, toujours plus bas. Je maudis l’organisation, je les traite de sadiques, de criminels. Pourquoi ? A quoi ça sert ? Pas là ! Une fin de course comme ça devrait obligatoirement être plate, voire en légère descente, pas en montée. Même si c’est une MaxiRace, même si c’est un concept de course à profil de montagne. J’attaque la montée en bouillonnant, puis me calme peu à peu, en appui sur mes bâtons, à un rythme d’ascension digne d’un sprint d’escargot. Des marches, bien sûr. Dans les champs, puis à l’entrée du village, puis jusqu’à la place de l’église. Et soudain, juste après un virage en angle droit, les lumières, l’arche d’arrivée, la musique. Il est 23h30, Fredrik est là, douché, rhabillé, une bière à la main, un grand sourire qui lui fend le visage. Checks dans les mains qui se tendent, congratulations, médaille de finisher, Fredrik m’offre une bière, lui en est à sa 6e. Il a fini il y a plus de 3 heures, la course parfaite, mais me félicite pour ma performance. « C’était une course très dure, je n’étais pas sûr que tu y arrives », m’avoue-t-il, ravi pour moi. Ravi, je le suis aussi. Un décor de rêve, un parcours parfaitement dosé, bien balisé, une météo clémente et aucune pensée négative, je suis sur un petit nuage. Vivement 2019, j’ai encore faim et rêve d’aller taquiner les 100km. De passer à l’ultra, quoi…

Prochaine MaxiRace Madère : 7 et 8 décembre 2019.

Infos : maxi-race.net