6000D : 1 nain et 2 géants – Coach Magazine France

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@L. Salino

La team Coach Magazine a couru la 6000D, surnommée « La course des géants », à La Plagne. Au menu, 65 km, 3500 de dénivelé positif et un passage sur le glacier de la Chiaupe à plus de 3000 mètres d’altitude.

Par Patrick Guérinet, rédacteur en chef de Coach Magazine

Géant, il faut l’être pour « monter la marche ». Car le profil de la 6000D est simple : 33 kilomètres de montée quasi non-stop, 3500 mètres de dénivelé positif, puis 32 kilomètres de descente au même tarif. Arrivés la veille, nous retrouvons sur l’esplanade de Plagne Centre l’ambassadeur de la station, Yoann Stuck, que les médias aiment à surnommer le « traileur atypique ». En surpoids, fêtard et sans hygiène de vie, il décide il y a 7 ans de se mettre au trail, et depuis collectionne les performances et victoires. Nous avons également le plaisir de rencontrer Guillaume Depasse, ancien rédacteur en chef de Runner’s World, magazine référence mondiale de la course à pied, venu également courir la 6000D. Deux coureurs Coach Magazinem, Thierry et moi, contre un coureur Runner’s World, la bataille s’annonce farouche.

De gauche à droite, Patrick, Thierry, Yoann et Guillaume, accompagnés de Lumia. @Cyrielle Roux

Training avec un géant du trail

Nous partons trottiner une vingtaine de minutes avec Yoann, qui nous briefe sur le parcours qu’il connaît parfaitement, nous donnant quelques repères et conseils techniques du genre « là tu y vas calme, là tu peux relancer » que, le lendemain, je serai bien incapable de mettre en application (enfin, surtout la notion de relance). Une petite bière plus tard (pour nous) et une 6D verticale gagnée pour Yoann (5km, 1000 mètres de dénivelé, avalés en moins de 50 minutes), il est temps de redescendre au fond de la vallée, dans le village d’Aime, lieu du départ de la course le lendemain. Derniers préparatifs, choix de l’équipement (canicule annoncée dans la vallée, plus de 30°, et orages à redouter à 3000, sur le glacier, avec des températures inférieures à 10°), petit dîner léger, nous calons nos réveils sur 4h45 afin d’être opérationnels pour le départ à 6h00.

A 6 heures précises, les 1513 participants s’élancent à l’assaut des montagnes de La Plagne. @L. Salino

A la queue leu leu

Nous sommes 1513 à nous glisser dans le sas de départ, alors que le jour se lève et que la température est encore clémente à 673 mètres d’altitude. Une petite bruine vient même nous arroser, avant que le speaker ne lâche la meute, l’élite en tête, dont les grands favoris, le Camerounais Eric Mbacha Mengeh chez les hommes et la Française Maryline Nakache chez les femmes (qui gagneront haut la main). La longue procession se met en route. Les coureurs sont serrés comme dans le métro aux heures de pointe, mais en plus inconfortable car 90% des voyageurs ont des bâtons qu’ils manient un peu n’importe comment, pour le plus grand désespoir de ceux qui sont derrière. Guillaume, Thierry et moi trottinons sagement – à la fois pour nous économiser et parce qu’il est de toute façon très compliqué, voire impossible, de doubler. Après 4 kilomètres de plat en fond de vallée, nous attaquons le début de la longue montée, impatients d’arriver à l’attraction du 12e kilomètre : le passage dans la piste olympique de bobsleigh.

Patrick dans la montée de la piste olympique de bobsleigh. @Cyrielle Roux

Tous en piste

Au sortir de la forêt, nous nous engouffrons un par un dans le ruban de béton que les bobeurs descendent à plus de 100 km/h. Nous monterons le kilomètre et demi de piste à 10 à l’heure, plus que jamais en file indienne, pour déboucher en haut à l’air libre, dans une ambiance survoltée faite de trompettes, sons de cloches et encouragements de la foule. Beaucoup disent que la 6000D est unique au niveau de l’ambiance créée par les milliers de spectateurs tout au long du parcours, cela se confirme. L’intermède bobsleigh avalé, nous reprenons notre ascension vers Plagne 2000, toujours sur des chemins larges et pentus, toujours en peloton compact rythmé par le cliquetis des bâtons sur le sol caillouteux. Clic clic clic clic… Je dois être un des rares, avec Guillaume, à ne pas en avoir. Je déteste ce cliquetis… Guillaume, qui a annoncé viser l’arrivée en moins de 10 heures, s’est quelque peu détaché à l’avant, tandis que Thierry et moi nous suivons sagement, en mode « économie ».

Premier ravito, après 20 kilomètres de course. @Cyrielle Roux

La foule en délire 

Plagne Centre, 1980 mètres d’altitude, le premier ravito, enfin, après plus de 20 km d’ascension. Difficile de se frayer un chemin jusqu’aux tables pour faire le plein d’eau et avaler un quartier d’orange et deux morceaux de banane : les places sont chères, ça se bouscule, quelques concurrents traînent, déjà fatigués. On m’informe que Guillaume a environ 10 minutes d’avance sur moi, et que Thierry est à trois petites minutes derrière moi. Je repars à l’assaut de la pente, sur les pistes enneigées l’hiver, direction la Roche de Mio, à 2681 mètres, annoncé comme le sommet en matière d’ambiance. Ceux qui l’ont déjà vécu racontent que c’est l’équivalent de l’Alpe d’Huez pour les cyclistes du Tour de France, avec la foule qui s’écarte au passage des coureurs, les encouragements, bravos, vivas, trompettes, cornes de brume et, bien entendu, les cloches de vaches pour s’en prendre plein les oreilles. Plus on monte, plus la température descend, et je commence à avoir très froid. Il fait 13°, m’annonce notre accompagnatrice, bien au chaud dans le véhicule de presse qui nous suit en course. Avec un simple T-shirt totalement détrempé de sueur sur la peau, je grelotte, je serre les dents. Un lacet en-dessous, j’aperçois Thierry, qui monte en rythme, les yeux sur ses chaussures, bien en appui sur ses bâtons.

Vers la Roche de Mio, alors que le temps se couvre. @Cyrielle Roux

Au pied du glacier

Arrivé à la Roche de Mio sous les vivas des spectateurs bien emmitouflés dans leurs doudounes, je ne m’attarde pas : avec le vent, il fait trop froid, je plonge dans la descente qui mène au deuxième ravitaillement, au niveau du Col de la Chiaupe. Trois bouts de pomme plus tard, sortant du CP de contrôle, c’est le choc : devant moi, très haut, j’aperçois un serpentin de gens qui se suivent, montant à la queue leu leu dans le pierrier, sous un ciel noir et menaçant, pour aller jusqu’au glacier, 500 m plus haut. Le moral en prend un coup, mes jambes sont dures, j’ai froid, je ne suis pas sûr d’avoir envie de grimper là-haut. Je me retourne, j’hésite. Thierry me rejoint, et me pousse à continuer. Nous partons à l’assaut de la pente très raide, tels des pénitents dans une procession. Tout autour de nous, personne ne sourit, les visages sont fermés. Nous croisons ceux qui descendent du glacier, comme nous le ferons dans une heure ou deux, et qui nous encouragent. Mais à peine 1 km après avoir quitté le ravitaillement, je m’arrête, sans énergie. Je scrute la chenille humaine qui progresse bien plus haut, à même pas 1 km/h, dans un pierrier extrêmement raide, alors que l’orage se fait de plus en plus menaçant, et décide de jeter l’éponge. Ce géant est trop grand pour moi. Si près du sommet, mais si loin dans ma tête. Thierry, juste derrière moi, m’encourage encore : « Tu es dans le dur, ça va passer, allez, viens avec moi, continue. » Mais l’envie n’est plus là, je préfère redescendre, signaler mon abandon et rendre mon dossard au CP de contrôle que je viens de quitter, et lui laisse la tâche de continuer l’aventure. Il faut au moins un finisher Coach Magazine sur cette course, je lui donne cette mission, un grand sourire aux lèvres. Lui sourit moins, conscient qu’il va en baver…
 

Vers la Roche de Mio, alors que le temps se couvre. @Jeannie Grollier

Sur le toit de glace

C’est donc le récit de Thierry qui me permet de continuer de vous raconter cette aventure. L’ascension vers le glacier est terrible. La pente est telle que chaque coureur a le nez coincé dans les fesses de celui qui le précède, marchant à un rythme d’une lenteur extrême. Le froid engourdit les muscles, une pluie fine tombe, la montée est très éprouvante. Arrivés au sommet, les coureurs s’élancent sur le glacier de la Chiaupe pour une boucle d’environ 1 km avant d’entamer la descente, sous un ciel prêt à exploser. Et ce qui devait arriver arriva : comme si, d’un seul coup, la lumière s’éteignait, le noir se fait et la grêle se met à tomber. Thierry n’y voit pas à 20 mètres, et cherche avec les autres coureurs aussi désorientés que lui les repères de peinture orange sur la roche, tremblant de froid. La grêle lui fouette les jambes, le visage, la descente est dantesque. Arrivé au ravitaillement qu’il a quitté plus d’une heure et demie plus tôt, il souffle enfin. Le plus dur est passé, il ne reste « que » 29 km avant de retrouver la chaleur de la vallée. Guillaume, passé il y a environ 45 minutes, est toujours dans les temps pour finir en moins de 10 heures. Quant à Thierry, à l’objectif plus modeste, il sait désormais qu’en continuant ainsi, il est sûr de terminer dans les barrières horaires. En priant pour qu’aucune blessure ne survienne…

A Montchavin, Guillaume en pleine galère. @Cyrielle Roux

Thierry à pas de géant

Récupéré par le véhicule d’accompagnement, nous fonçons, nos accompagnatrices et moi-même dans la vallée pour remonter vers Montchavin, à 1200 mètres d’altitude, au CP de contrôle et ravito du 55e kilomètre. Grâce au tracking GPS, je peux suivre la progression de Thierry à la minute près, et vois qu’il descend à bon rythme, entre 8 et 10 km/h, ralenti uniquement par la « bosse » du col de l’Arpette, un « petit » 350 de dénivelé casse-pattes qu’il faut « enjamber » avant de filer vers la vallée. Nous prédisons son heure de passage à Montchavin entre 16h15 et 16h30, soit plus d’une heure avant la barrière horaire, et nous positionnons en terrasse (pizza bière pour moi, faut bien se consoler) pour attendre notre héros du jour. Sans nouvelle de Guillaume, qui n’a pas de GPS, nous supposons qu’il doit approcher de la ligne d’arrivée, aussi sommes-nous tout surpris de voir son énorme tignasse bouclée se pointer au ravito. Aurait-il été ralenti dans la descente par la prise au vent excessive de sa folle chevelure ? « L’essuie-glace », nous confie-t-il en grimaçant. Des douleurs terribles sur la face externe du genou, qui l’empêchent de courir. Adieu le chrono de moins de 10 heures, l’objectif de Guillaume est désormais basique : serrer les dents et franchir les 10 derniers kilomètres, quitte à finir avec les dents. A peine 15 minutes plus tard, à 16h20 précises, Thierry débarque, tout sourire. La douleur est là, certes, mais l’odeur de la ligne d’arrivée le motive, il sait qu’il va finir, et nous promet même, dans un sourire malin, de passer « à l’attaque »…

Thierry, finisher de la course des géants. @Cyrielle Roux

Des larmes de joie

Nous remontons dans notre véhicule et filons donc vers la ligne d’arrivée, pour apprendre que le Camerounais Eric Mbacha Mengeh a comme prévu remporté l’épreuve en un temps sidérant de 5h55 minutes, soit près de 11 km/h de moyenne, avec plus d’un quart d’heure d’avance sur le second. Alors que le chrono s’égrène, nous tablons sur une arrivée en 11h 30 pour Guillaume et 11h50 pour Thierry, et en profitons pour acclamer les arrivants qui en terminent, ivres de fatigue et de joie mêlées. Et soudain, alors que nous nous faisons de plus en plus impatients, au bout de la ligne droite se profile la silhouette de… Thierry ! Sourire aux lèvres, notre finisher Coach Magazine boucle les 65 km en 11h 43mn et 29 secondes, avant de s’écrouler contre une barrière de sécurité pour savourer son exploit, les larmes aux yeux.

Guillaume n’a plus de genou, mais il peut lever le bras : finsiher ! @Cyrielle Roux

A peine a-t-on le temps de le féliciter que la tignasse de Guillaume apparaît à l’horizon. Avec un genou totalement bloqué, ce guerrier a serré les dents, hurlé au ciel, traîné sa jambe mais réussi à boucler la boucle, lui aussi, terminant finalement 3 petites minutes derrière Thierry. Deux géants, parole de nain !

Remerciements à Cyrielle pour ses photos et encouragements, Jeannie pour ses soins, massages et encouragements, Alban pour nous avoir conduit par les pistes au plus près de la course et permis la réalisation photographique de ce reportage, Yoann Stuck pour ses bons conseils et sa disponibilité entre deux courses, et surtout à Séverine et Claire, de l’office du tourisme de La Plagne, pour leur merveilleux accueil et leur bonne humeur.

Pour voir le film officiel de la 6000D 2018, cliquez ici : https://www.youtube.com/watch?v=ydiemVbL92k&feature=youtu.be